mercredi 18 décembre 2013

Déconstruction(s): Derrida et Mandela réunis...

Quand le philosophe, inventeur de la déconstruction, évoquait sa passion du héros de la lutte anti-apartheid.

Texte de Derrida sur Mandela.
Mandela. «Sartre est-il encore vivant?» Quand Jacques Derrida rencontra Nelson Mandela à Johannesburg, en 1999, l’ex-prisonnier de Robben Island, qui avait manqué un quart de siècle d’histoire, repensa soudain à ses vieux cours de philosophie française et osa poser la question, innocemment, à son illustre visiteur, sachant que ce dernier lui accorderait volontiers sa clémence pour son ignorance. Madiba avait alors plus de quatre-vingts ans, il venait de se remarier et, selon Derrida lui-même, paraissait heureux comme un jeune homme au seuil d’une nouvelle vie». Une heure avant de discourir avec l’inventeur de la déconstruction, l’ex-premier président démocratiquement élu d’Afrique du Sud avait reçu longuement Yasser Arafat. Derrida avait assisté, stoïque, à la folie protocolaire (hélicoptère, gardes du corps, etc.) et fut très impressionné de voir son interlocuteur «frais, disponible et de belle humeur, comme s’il commençait sa journée, prêt à parler de tout, jouant à se plaindre de ne plus pouvoir décider seul de ses voyages». Mandela avait ajouté: «Plus de liberté de mouvement, je suis en prison, désormais, et voilà mon geôlier», en montrant du doigt son principal collaborateur.

Derrida. Une intuition symbolique: depuis la mort de Mandela, ne sommes-nous pas en mesure de déclarer la (vraie) fin du XXe siècle? Ici même, dans cette chronique, en 2004, le bloc-noteur un peu plus jeune avait déjà suggéré cette idée au lendemain de la disparition de Jacques Derrida, qui avait laissé ceux qui l’aimaient dans un état de sidération.
Cette fois, c’est Madiba qui s’en est allé. Et une impression tout aussi brutale et violente se maintient en nous, comme si un univers entier venait de basculer dans l’inconnu, comme si nous assistions à la fin-sans-fin d’un monde qui fut nôtre et tellement nôtre que nous refusons tout partage au rabais. Vous comprendrez pourquoi le chronicœur, l’autre nuit, passa de longues heures à chercher et à relire les écrits de Derrida consacrés au héros de la lutte anti-apartheid. Au hasard des surprises, il fallait par exemple parcourir de nouveau De quoi demain (Fayard-Galilée, 2001), l’admirable livre de dialogue réalisé avec Élisabeth Roudinesco. Derrida réexpliquait sa fascination pour le génie réconciliateur: «Admiration de Nelson Mandela comme on dirait la passion de Nelson Mandela, double génitif, celle qu’il inspire et celle qu’il ressent. Elles ont le même foyer, elles s’y réfléchissent. (…) 
Il m’apparaît comme l’une des grandes figures de la modernité. Il est l’héritier de la pensée occidentale, qu’il a retournée contre les oppresseurs, d’abord en fondant le premier cabinet d’avocats noirs de Johannesburg, puis en devenant l’un des principaux responsables de l’ANC, et enfin en passant plus de vingt-sept ans en prison sans devenir fou.» Mais la lucidité du philosophe, 
qui ne se bornait jamais au réel-supposé, ne s’arrêtait pas à 
la figure centrale de l’homme capable de l’absolu («pardonner l’impardonnable»). Peu suspect de minimiser la grandeur de Mandela, Derrida analysait déjà les contradictions de l’Afrique du Sud, questionnant le non-questionnable: «Mandela a pensé que le corps de la nation sud-africaine ne pourrait survivre qu’à la condition de l’amnistie. Mais, à supposer que cette condition de survie soit nécessaire, il n’est pas sûr qu’elle soit suffisante.» Visionnaire, Derrida insistait: «Jusqu’ici, Mandela a réussi à sauver la société sud-africaine du désastre imminent, mais je dois dire avec une certaine tristesse que ce grand moment, cette figure à tant d’égards exemplaire appartiennent déjà au passé. Mandela s’est retiré et l’Afrique du Sud traverse de fortes turbulences. Les problèmes les plus graves ne sont pas réglés. Mandela a dû faire des choix politiques sans doute inévitables et qui consistent, pour l’essentiel, à ne pas toucher à la propriété, à laisser le pays exposé au marché mondial. La pauvreté, l’insécurité, les inégalités, le fossé qui demeure entre les Noirs et les Blancs – l’exode de plus en plus probable de ces derniers –, 
voilà autant de signes inquiétants.» Nous aurions pu lire cela cette semaine ; ces lignes furent rédigées il y a plus de dix ans.

Nommer. Parmi les autres textes majeurs de Derrida sur l’Afrique du Sud, signalons ''Admiration de Nelson Mandela ou les lois de la réflexion'' (1986) et plus encore ''le Dernier Mot du racisme'' (1983). Difficile de réchapper à la puissance de ces mots, à leur force propre comme injonction du vouloir-dire, pour que se maintienne la volonté du vouloir-lire et du vouloir-comprendre à tout prix. Derrida: «Apartheid: que cela reste le nom désormais, l’unique appellation au monde pour le dernier des racismes. Qu’il le demeure, mais vienne un jour où ce sera seulement pour mémoire d’homme. Une mémoire d’avance. À la fois urgente et intempestive, réduite à l’état de vocable hors d’usage.» Nommer ce qui n’est plus, en somme…

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du vendredi 13 décembre 2013.]

1 commentaire:

Anonyme a dit…

je suis tou sûr que Mandela est vert ,et que se poursui se proprie´te em à frique .sommes tou convict que ses atribulations de enxofre se vai passer .à lá l'une ,vous sont tré bonne .derrida ést philosophe e Marx venceè com elles